05/04/2010

䷰ ÉGARD | MATIÈRE | PANNE

Presque palpitante de vie insufflée par l'artiste, l'argile échauffée pas ses caresses répétées se lovait dans tous les creux de la chair de ses mains. Sa matière tendre et mole se mêlait à celle de la peau et ne parvenant pas à se dissoudre en elle, elle l'enveloppait amoureusement puis se trouvait à son tour étreinte par les paumes tendres du modeleur inspiré.

Leurs sensuelles entrevues se succédaient de jour en jour sans qu'aucune ombre importune ne vint en obscurcir le tableau. Or un soir ce fut la panne sèche. Le créateur avait perdu la trace de sa source d'idées. Plus rien ne lui venait, même plus l'envie, même plus l'élan. L'inspiration tarie, il ne pouvait plus abreuver la terre de son flux vivifiant, et elle se desséchait dans un coin d'atelier, seule, inerte, inanimée, comme morte. L'engourdissement du sculpteur était tel qu'il s'habitua  à ne plus la toucher et finit par se contenter d'une vie sans art. Il accepta un poste dans une boîte quelconque et l'oublia tout à fait. Puis il déménagea et l'atelier resta un temps inhabité. Dans un coin reposait pétrifiée l'argile abandonnée.

Une saison passa dans l'immobilité, puis deux, puis un an, lorsque la porte s'ouvrit sous une nouvelle main. L'atelier avait trouvé un nouveau locataire. Il fit le tour des lieux, prit ses marques, se débarrassa du superflu, rangea, balaya, nettoya, réorganisa, et tomba sur le vieux bloc d'argile. Intéressé il le saisit, le palpa, lui prit le pouls, lui fit un massage cardiaque, l'enveloppa dans une serviette mouillée qu'il maintint à un certain degré d'humidité pendant quelques jours, enfin eut tant d'égards pour la glaise asséchée, qu'elle repris des couleurs, de la souplesse, de la douceur, et put bientôt offrir à ce cher bienfaiteur sa plus belle texture pour donner corps aux fruits mûrs de son imagination féconde.



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